Úlfur Eldjárn, compositeur islandais spécialisé dans la musique à l'image, et Julie...
Le 24 octobre 2025 — par Trempo
Co-programmatrice du club Macadam depuis 2018, Aasana déploie en solo des DJ sets qui convoquent techno, bass music, ambiant et breakbeat. À Récife (Brésil), elle participe avec l’artiste brésilienne Idlibra à la deuxième phase de l’échange Brésil / France mené par Trempo. L’occasion de se plonger dans sa facette de productrice engagée dans une recherche artistique, politique et spirituelle.
À Nantes, on a tout de suite décidé de composer ensemble, avec l’intention de fusionner nos deux univers : inclure des éléments à l’esthétique occidentales ou (toque francês, la french touch !) et intégrer des sonorités brésiliennes. Ce qui est intéressant, c’est qu’IdIibra a créé tout un pack de samples avec des instruments de la région. Ici la musique est absolument partout, devant les magasins, sur la plage – et la région est riche de nombreuses esthétiques : le maracatu, le frevo, le manguebea…
À Trempo on avait composé trois tracks. L’idée ici c’est de les terminer. Le premier était déjà finalisé, on a rien ajouté de plus. Le second doit être fignolé : c’est surtout une question de sound design, d’ajout d’éléments pour le rendre plus vivant, car il est assez répétitif. Le troisième est à approfondir, on n’avait pas énormément travaillé dessus.
On a passé la journée de mardi en studio avec Léo, un ingénieur du son brésilien qui travaille notamment avec un super groupe, Mundo Livré S/A. C’était cool de travailler avec quelqu’un qui est plus dans la pop brésilienne.
« Léo s’intéresse à plein de styles, et il a tout de suite saisi l’intention de nos morceaux. Il a aussi apporté des éléments qui ont mis du piment, donné une nouvelle dynamique. Ça a rendu les tracks plus vivants. C’était précieux aussi d’avoir un regard extérieur parce que nous, on est dans notre truc, on se dit « ça nous ressemble, » mais c’était important qu’il nous confirme : “Oui, ça vous ressemble vraiment !”.
Oui, même si tout s’organise un peu au jour le jour, des opportunités se créent : samedi, les chefs, le Brésilien Thiago Das Chagas et le Nantais Léo Huet (Kombu) organisent un grand repas gratuit, ouvert aux communautés très pauvres de ce quartier. Ils vont créer une sorte de soupe populaire à base de poisson. Ils sont allés voir des pêcheurs locaux le week-end dernier pour proposer ce projet. Avec Idlibra, on joue sur la place pendant le repas, l’après-midi.
Par ailleurs, Idlibra est résidente d’une soirée qui s’appelle Nbomb. Elle a discuté avec sa fondatrice, qui m’a du coup bookée pour une fête. Ça se passe dans un grand amphithéâtre près des universités, un truc énorme : je crois que c’est 3000 personnes, peut-être plus… Ces soirées sont très, très engagées. Ce sont uniquement des personnes queer qui portent ce projet. Je me sens super honorée d’y jouer.
Il y a beaucoup d’artistes à Sao Paulo, mais moins qui sortent du lot ici, à Recife. Idlibra est pourtant en train de devenir une icône, de donner une nouvelle valeur à la scène musicale brésilienne. De ce que je sais, il y a beaucoup d’artistes qui vivent dans la précarité et qui doivent se battre. Quand je vois Idlibra, c’est quelqu’un qui met toute sa vie dans son projet. Elle travaille beaucoup.
Ce projet est né il y a longtemps, avant même que j’arrive à Nantes. J’étais à la fac à Nancy. Je produisais un peu dans ma chambre sur Ableton, des trucs bizarres sans trop savoir ce que je faisais. J’allais en free party, en rave, en club. Il y avait aussi beaucoup de lieux alternatifs et de squats. J’ai fait pas mal de concerts, traîné avec des gens de la noise, de la musique improvisée et expérimentale. Ça m’a ouvert une porte : j’avais une certaine vision de la musique qui devait être clean, carrée, mais dans ce milieu-là, c’est l’intention et l’expérimentation qui prime. Aujourd’hui c’est quelque chose que j’essaie de garder : ce n’est pas grave que ce soit déconstruit, un peu DIY.
Je suis arrivée à Nantes en 2018 et en 2021 j’ai commencé à travailler comme programmatrice pour Macadam, qui m’a apporté une autre vision des musiques électroniques et de la fête. Je me suis ouverte à des styles de musique que je n’écoutais pas – et que je critiquais un peu ! Macadam m’a vraiment élargi le spectre musical. Après, je me suis mise à mixer en 2019 avec le collectif Zone Rouge, que j’ai créé avec Soa 420 – et qui prend fin cette année.
Zone Rouge et Macadam m’ont permis de me construire en tant qu’artiste, de me chercher musicalement – même si je pense qu’on se cherche toute la vie musicalement !
Le féminisme et l’intersectionnalité ! J’ai toujours fait attention, dans mes sets, à mettre en avant des artistes minorisé·es. J’essaie de faire un maximum de recherches sur les artistes que je sélectionne, pour éviter de proposer, par exemple, un set exclusivement masculin, cisgenre, blanc et hétéro.
Dans la programmation, c’est ma base de travail : faire attention au profil des gens que je programme, car je vois bien que les personnes minorisées sont invisibilisées dans le milieu musical. Ça ne change pas.
J’essaie aussi de le mettre en œuvre dans ce que je fais musicalement, même si c’est plus compliqué. Aujourd’hui, je fais davantage attention aux lieux et aux personnes qui m’invitent à jouer ; je m’autorise à refuser certains sets parce que je ne le sens pas. Ça fait partie de cet axe politique : choisir avec qui j’ai envie de travailler.
Du coup, même si ce n’est pas moi qui ai choisi de travailler avec Idlibra – la proposition a été faite par Trempo et son partenaire brésilien -, ça tombait vraiment bien. Elle défend les communauté queer et les minorités, elle est aussi curatrice d’un festival (Coquetel Molotov)… C’est quelqu’un d’hyper politique !
Bien sûr… Ma grand-mère est brésilienne. Elle vit en France aujourd’hui, mais elle a une grande famille, et plusieurs membres vivent à São Paulo. L’objectif, à la fin de ce voyage – je reste trois semaines et demie -, c’est de rencontrer ma famille pour la première fois !
Ici, en arrivant, la première chose que je me suis dite, c’est qu’il y avait plein de gens qui ressemblaient physiquement à mon père et à ma grand-mère… Même moi, j’avais l’impression de croiser des gens auxquels j’aurais pu m’identifier, ce que je vis beaucoup moins en France.
Dans le nord du Brésil, le pays qui fonctionne beaucoup autour de la spiritualité et de la religion. Moi, je me sens hyper connectée à ça. Je suis quelqu’un de très spirituel, et je pense qu’il y a quelque chose de très spirituel aussi dans ma créativité, dans ma façon de créer. C’est hyper symbolique, même si j’ai la sensation de vivre quelque chose d’irréel en étant ici. J’ai du mal à redescendre.
On n’a rien de confirmé pour l’instant, mais avec Idlibra, on souhaite évidemment sortir les tracks, concrétiser tout ça. On a plusieurs pistes de labels, en France et ici au Brésil, notamment un label queer et antiraciste. Ce serait une façon d’aller jusqu’au bout, de signer notre amitié et d’être fières de nous ! Mais pour Idlibra, un label français pourrait aussi lui permettre d’ouvrir de nouvelles connexions en Europe…
Côté perso, j’ai envie de reprendre la production et d’être dans une dynamique de recherche musicale, sans chercher la surproduction. Ce qui est certain, c’est que je vais continuer à créer du lien avec le Brésil, que ce soit à travers mon travail avec Macadam ou pour mon projet personnel.
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Avec ma sœur, on réfléchit à créer une sorte de pièce sonore et visuelle. L’idée est d’enregistrer des sons, de faire de l’image – j’ai pris un vieux caméscope ; elle fait de la photo-. J’ai aussi retrouvé des archives : il y a quelques années, j’avais enregistré des conversations avec ma grand-mère. L’idée est de créer un mélange de sons d’ici, de sons que je crée, de musique qu’on me partage, et d’échanges… et d’accompagner ça d’un fanzine, peut-être d’un clip. Et vraiment garder le lien avec le Brésil.
En parallèle, je fais beaucoup de recherches sur les différentes religions pratiquées au Brésil, notamment celles venues d’Afrique. J’aimerais aussi créer quelque chose en lien avec la spiritualité. J’ai un peu ce truc… C’est encore en phase de recherche.
Interview et rédaction : Trempo
Photo de couverture : Consulat général de France à Récife, studio : Guilherme Guimarães – autres : Trempo
À l’occasion de la saison Brésil France 2025, Trempo et le Voyage à Nantes ont imaginé une résidence culinaire et musicale. Elle réunit deux chefs – Léo Huet (restaurant Kombu) à Nantes et Thiago Das Chagas (restaurants Sao Pedro et Reteteu à Recife) – et deux productrices de musique électronique : Aasana à Nantes, Idlibra à Recife. Ils et elles ont travaillé ensemble et partagé leurs créations avec le public à Nantes en juin, puis à Récife en octobre.
Projet réalisé avec le soutien de Nantes Métropole et T Das Chagas Paticipaoes.