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Interview

AvA : « jeunesse et féminitude »

Le 15 octobre 2019 — par Trempo

Pour son projet AvA, Eva Ménard s’est entourée des expérimentés Greg Vaillant, avec qui elle avait créé Moongaï, et 20Syl, l’homme aux multiples casquettes, et pas que retournées (Hocus Pocus, C2C, AllttA). Elle s’est aussi adjoint les services de deux talentueuses jeunes pousses, la réalisatrice Zoé Cavaro et la multi-instrumentiste Élise Bourn.

Au bar de Trempo, on attend Eva Ménard, instigatrice du projet musical AvA, quand on rencontre au pied de l’ascenseur la toute jeune Adèle Castillon, venue suivre un coaching vocal. Majeure le 24 octobre prochain, la chanteuse du duo nantais Videoclub est là pour gagner en expérience. Ainsi se croisent deux trajectoires artistiques différentes. L’une affole les réseaux sociaux et cumule avec ses clips les millions de vues sur YouTube ; l’autre, très assurée du haut de sa trentaine dépassée, dispense un discours clair et rodé. « Cela fait quinze ans que je fais de la musique de manière professionnelle », confirme Eva, qui assied en face de nous sa « rouquitude », signe distinctif qu’elle brandit crânement sur son profil Instagram.

À l’instar d’Adèle qui s’est mise à la musique en rencontrant son compagnon Matthieu Reynaud, Eva a débuté avec Grégoire Vaillant, au lycée Aristide-Briand de Saint-Nazaire. Les deux tourtereaux fondent alors le groupe Link et promènent leur trip hop expérimental lors de tournées en Angleterre et en Allemagne. « De là, est née mon envie de chanter en français et nous avons monté Moongaï. Lors d’un tremplin, un directeur artistique a eu un coup de cœur et nous avons été signés chez Warner Music France. » Pendant une décennie, le duo compose pour le théâtre, le cinéma, la radio et collabore notamment avec le metteur en scène nazairien Christophe Rouxel, le rappeur américain Pigeon John et l’ancien guitariste de The Coral Bill Ryder-Jones.

Øpéra en actes

Aujourd’hui, Eva et « Greg » sont à la tête d’Øpéra, un collectif dont les membres gravitent au quatrième étage de Trempo. « Notre came, c’est le côté 360 : musique, cinéma, histoire », explique Eva, qui débite les punch-line comme des bambous. « On aime incuber les projets. Il y a notamment celui du pianiste Armel Dupas, du violoncelliste Paul Colomb et ceux des “visuelleux”. L’idée est de faire grossir la compagnie et de tendre vers le décloisonnement. Et, bien sûr, il y a également le projet de Greg, “Abraham Fogg”, qui mélange musique et ciné. Il travaille, avec Charles-Édouard Dangelser, sur un album d’electronica, dont le concept tourne autour de la sorcellerie. »

Quant à Eva, elle n’a pas modifié qu’une lettre de son prénom pour le sien de projet. La méthode aussi. « J’avais envie de composer toute seule, sans Greg. On m’a prêté une maison de campagne pendant quinze jours, à Ozillac. » Au dernier recensement de 2015, cette minuscule commune du sud-ouest de la France comptait 635 habitants ; ça réduit les chances d’être importuné. « En attaquant cette résidence, je me suis dit que si je n’arrivais pas à écrire la moitié de l’album, j’arrêtais la musique. Le premier jour, je m’installe… J’avais préparé très sérieusement toute une liste de thèmes à aborder dans mes chansons. Arrivent 20 heures… Puis 22… Puis 23… Toujours rien. J’ai fini par me dire : “Laisse tomber ta liste et fais-toi plaisir”. Ça a débouché sur un premier morceau : “Violence”. »

Il y aura aussi « Orage », une chanson sur un thème qui la touche particulièrement : l’épilepsie, maladie neurologique avec laquelle elle a appris à cohabiter. « J’ai appelé le morceau comme ça car c’est comme un orage dans le cerveau. Les crises partielles surgissent durant seulement quelques secondes, mais on a l’impression qu’elles durent des heures. Tout est court-circuité, tout se mélange. J’ai commencé à avoir peur que ça m’arrive sur scène… Dans cette chanson, j’explique la difficulté de voir le lien avec les êtres chers se distendre. »

Un album à six mains

Finalement, Eva n’arrêtera pas la musique, puisqu’au bout de ces deux semaines elle dispose d’une dizaine de morceaux piano-voix. De retour à Nantes, elle sollicite Greg pour la partie orchestrale et, pour la production, 20Syl, avec qui elle a déjà travaillé sur l’album de C2C. Tous deux acceptent la collaboration à six mains. « Depuis un an et demi, on se retrouve quand on a un créneau. On a presque fini l’album. Mais j’ai surtout servi de prétexte pour qu’ils s’achètent des nouveaux synthés », s’amuse Eva. Le résultat, qu’elle qualifie de « synth pop française », sortira en 2020 et sera accompagné d’un live pour lequel elle a requis les services de Zoé Cavaro. Tout droit sortie de Ciné Créatis, la jeune fille est recommandée par 20Syl. « J’avais envie de créer une ambiance visuelle pour le spectateur. Avec Zoé, on a imaginé une semi-narration et créé des personnages, un décorum… Elle sera sur scène avec moi et traitera les images en direct. » Pour la partie musicale, c’est une toute aussi jeune fille, la Franco-Néozélandaise Élise Bourn, bercée à la formation MuMa (diplôme de musicien.ne musiques actuelles) de Trempo, qui en aura la charge. « Elle aura un kit machine, une guitare, des claviers… Ce sera un show “jeunesse et féminitude” », s’amuse la mitraillette à punch-line, qui entame une résidence à la Maison des Arts à Saint-Herblain pour roder le concert.

Dernière pièce angulaire de ce projet : la collaboration avec le « killeur maniaco-travaillomane » Jonathan Lopez Haddad, un créateur 3D avec lequel elle a « geeké ». Spécialiste de l’art génératif en 3D, de la photogrammétrie et du scan 3D, le fondateur de l’agence Ronin161 lui a conçu un clip en 3D qui sortira en novembre.

L’interview s’achève, on quitte Eva, puis dans la rue on s’en veut de ne pas lui avoir demandé si elle avait nommé son projet en référence à Ava Gardner. En termes de « féminitude », l’actrice américaine s’y connaissait elle aussi. Tant pis, il nous restera les punch-line.