Altiste, Maëlle Desbrosses se tourne vers les musiques improvisées au sortir de...
Elodie Guillotin – À la recherche du corps perdu
Le 22 mars 2022 — par Trempo
Danseuse interprète et chorégraphe aux influences multiples, Elodie Guillotin intervient auprès des étudiant·es musicien·nes du MuMA de Trempo depuis deux ans. Une formation plébiscitée pour sa libération du mouvement et de l’esprit face à des corps en manque de connexion intérieure.
Sous un ciel dunesque, on la retrouve cet après-midi là, paisiblement attablée à une terrasse de l’île Feydeau. Mais point de méprise : Elodie Guillotin est tout sauf un fleuve tranquille. « D’aussi loin que je me souvienne, je danse. J’ai toujours été une enfant très dynamique, à l’aise avec la motricité, mise à l’éveil corporel vers mes 4-5 ans. » Aucun doute, l’ensemble de son corps s’anime à chaque remembrance ou quand elle s’étonne de la densité de son parcours entre deux onomatopées. Depuis les joies de l’improvisation découverte très tôt, elle nous détaille ce qui fait qu’elle préfère aujourd’hui le terme « chercheuse du mouvement » à danseuse.
Passion sans frontière
Une solide formation en classique/jazz/contemporain et une forte connaissance en danses mandingues l’amènent ado à fréquenter « des sphères de création hyper variées, sans se formater » : bars avec le groupe Wongaï (dont son frère est membre), salles de théâtre et rues passantes avec des compagnies semi-professionnelles. L’épanouissement se fait à son arrivée à Nantes il y a une dizaine d’années. « Je traînais beaucoup dans les jams de musique car je trouvais l’univers des danseur·euses pas très joyeux à cette époque-là… En contemporain, j’avais l’impression que ça se tétanisait au moment où il fallait qu’ils et elles existent dans leurs personnalités. Je me disais « ah mais c’est pas possible ! » C’est dans le champ des danses hip hop que j’ai trouvé des réponses physiques à des recherches que je n’arrivais pas à faire éclore dans mon corps. Ça m’a rassurée et ça m’a aidée à libérer mon mouvement. »
Pas si étonnant donc qu’elle se fasse remarquer avec une telle culture et que sa playlist fasse fureur lors de ses interventions au MuMA. La bande-son y oscille entre musique japonaise, nappes sonores, rock anglais version Squid ou encore jazz incontournable. Car oui, l’intermittente se revendique comme une « amoureuse du jazz de l’au-delà ». Avec John Coltrane en fournisseur officiel de mantra : « Quand il dit « je pars d’un point et je vais le plus loin possible », ça résume hyper bien sa musique et j’essaye de garder ça aussi dans mon travail. »
(Re)trouver sa connexion
Coltrane, Elodie le convoque également pour la démarche créative. « Quand il a écrit A Love Supreme, il s’est enfermé cinq jours complets dans une chambre et il est allé au plus loin de lui-même pour chercher sa musique. Ça me parle beaucoup parce que je considère que quand tu es dans un processus de l’ordre de l’art, tu ne peux pas dire « j’y vais juste un petit peu », tu es obligée de laisser quelque chose de toi… C’est très fort comme choix de consacrer sa vie à son art et je viens un peu chercher les étudiant·es du MuMA là-dessus, sur le fait qu’il va falloir aller voir ce qu’il se passe à l’intérieur. »
L’intervenante travaille alors l’implication, avec en ligne de mire la connexion avec soi-même dans un monde où « les corps sont brimés » selon elle. « Si on accordait un peu plus de place au corps, les gens iraient un peu mieux. Il y a des pays où les enfants font du yoga le matin quoi ! » s’exclame-t-elle. « Je ne comprends pas pourquoi on a scindé à ce point l’individu en deux, encore plus dans un milieu où tu cherches à libérer quelque chose de toi pour le transformer. » Ici, la prise de conscience corporelle est le levier principal : « Plus le corps est relié, plus ce qui va en sortir va pouvoir être reçu ! Le mouvement pour le mouvement, je m’en fiche. Mais si je sens que le mouvement est vraiment relié à l’intérieur, là ça marche. »
Justement, parlons-en de la scène. « Le truc des musicien·nes, c’est qu’il y a toujours quelque chose, un instrument ou un ordi qui va les séparer du public, comme une sorte de protection. Là, sans instrument, très souvent ça les remue de ouf : il y a des gens qui pleurent parce que le rapport est beaucoup plus frontal que d’habitude. Même au niveau émotionnel, ça les agite beaucoup ! » Pour épouser le chamboulement généré par ce processus, bienveillance et ajustements sont de mise. La promo traverse deux jours d’expérimentations et d’observations en collectif sur leurs ressentis. La troisième et dernière journée est consacrée à la pratique et au bilan avec la représentation de leurs sets, en lien avec l’accompagnement prodigué par la metteuse en scène Annaïck Domergue (toutes deux abordent le fait de savoir se présenter et recevoir le regard).
Des étudiants du MuMA lors des évaluations, en avril 2021
Le corps « au service de la musique »
Telle Mary Poppins, la chorégraphe de 36 ans pioche dans son immense boîte à outils pour partager des exercices et des préparatifs à adapter selon les profils et les modes de vie. « Tout ce que je transmets en fait, on peut le transposer au « développement personnel » d’une vie en général ! » Routines physiques pour renouer le mental et le corps, techniques pour améliorer l’ancrage au sol, compréhension articulaire, gestion de l’énergie au sein d’un groupe… Tout en veillant à ne pas les enfermer dans des présences scéniques artificielles : « La plupart me disent : « je ne sais pas quoi faire de mon corps ! » Mais le truc, ce n’est pas de modeler et d’en faire un truc propre. C’est juste : comment tu fais pour comprendre ton corps, te comprendre un peu mieux, et comment tu vas pouvoir mettre tout ça au service de ta musique ? » Et de citer Prince : « Lui, peu importe comment il bouge, tout est tellement cohérent : son corps, sa personnalité, sa musique, ça ne fait qu’un et tu te prends ça en pleine tête, ça déchire ! »
Face à elle, peu de Kid de Minneapolis mais beaucoup de cas de figures variés : « J’ai souvent des élèves qui ont du mal à canaliser leur énergie au début et qui ensuite réussissent mieux à se concentrer là-dessus. Ou alors l’extrême inverse avec des peurs paniques d’être sur scène qui font mal au cœur : des corps qui tremblent à l’œil nu, la voix qui part en vrille… Et le dernier jour, ça chante et ça danse. Ah oui quand même, ça fait du bien quand ça sort ! » dit-elle d’une voix cartoonesque. Malgré la diversité des vécus et des personnalités, ces sessions font bel et bien l’unanimité : « J’ai souvent des retours du type « on en a trop besoin, ça manque dans les formations ! » C’est une expérience différente et nécessaire qui les sort de leur quotidien. Si c’était possible en fait, ça devrait faire partie de l’enseignement prédominant et faudrait presque que je sois dans l’équipe pédagogique. Mais bon, on ne peut pas modifier les structures ! » glisse-t-elle avec malice.
Clin d’œil du destin, Elodie écrit en ce moment une nouvelle création, LIMINAL (prévue pour l’automne 2023), avec une ancienne diplômée du MuMA, Laurène Pierre-Magnani, rencontrée lors d’une pause déj’ à Trempo. Alors, vous le croyez maintenant que tout est lié ?
Trempo recrute actuellement la promotion 2022-2023 du MuMA, le titre professionnel de Musicien·ne des Musiques Actuelles. Les candidatures sont à adresser jusqu’au 08 avril 2022. Plus d’infos
→ Compte Instagram d’Elodie Guillotin : @eloelodie.elo
Le MuMA – Musicien·ne des Musiques Actuelles – est une formation professionnelle menée par Trempo depuis 2017. Elle se destine aux auteur·rices et aux compositeur·rices qui souhaitent faire évoluer, consolider leur carrière artistique et diversifier leurs activités professionnelles. Le MuMA se déroule chaque année d’octobre à juin et délivre un titre de niveau 4.
Trempo recrute actuellement la promotion 2022-2023. Les candidatures sont à adresser jusqu’au 08 avril 2022. Plus d’infos.