Espace d'émergences musicales

Après des études à Baton Rouge auprès deAlvin Batiste, tu t’es installé à Chicago. Connaissais-tu déjà ses musicien·nes, notamment l’AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians), cette institution qui réunit l’avant-garde jazz de Chicago ?

Pas vraiment, mais je l’ai très vite découverte, notamment via le chanteur Saalik Zihad, lui-même membre de l’AACM. Grâce à lui, j’ai rencontré les grandes figures de cette institution : Dee Alexander, Ban LaMar Gay, Niki Mitchell ou Mike Reed, et j’ai fini par rejoindre leurs rangs en 2010. J’étais déjà très attiré par l’avant-garde et l’exploration, j’aime multiplier les connexions entre les styles et les pays.

Avant-garde, free jazz, musique improvisée, expérimentale, contemporaine, hip hop ou musique d’Afrique du Nord et de l’Ouest… Peu importe les étiquettes, tout se rejoint dans des rythmes universels.

En 2013, tu fais partie du premier groupe issu du réseau musical transatlantique The Bridge, partenaire de cette formation. Quels souvenirs en gardes-tu ?

J’ai vraiment adoré ! Grâce à ce projet, j’ai pu visiter trois fois la France, et j’ai rencontré de nombreuses personnes, dont les deux musiciens français, Stéphane Payen et Edward Perraud. C’était un plaisir de tourner avec eux ainsi que mes amis Makaya McCraven et Frank Rosaly. On ne s’est pas revus depuis un certain temps, mais je sais qu’à la seconde où on se recroisera, cette connexion reviendra immédiatement. Et chaque fois que le projet The Bridge repasse par Chicago, j’essaie de jouer avec les musicien·nes qui en font partie.

La formation sera notamment centrée sur l’idée d’improvisation. Comment définirais-tu ce terme ?

Mettre des mots sur la musique est très difficile, cela peut vite limiter notre vision. Certain·es musicien·nes n’aiment pas trop le terme d’improvisation, et préfèrent parler de composition spontanée. Si je devais vraiment définir, je dirais qu’improviser c’est prendre des éléments que tu connais, et les explorer d’une façon qui te semble être la plus intéressante. La composition spontanée consisterait à pousser l’idée plus loin, pour faire de ces éléments des morceaux à part entière, ce qui implique toute une série de décisions : des tensions et des détentes, des appels et réponses, etc.

Que souhaites-tu transmettre à travers cette formation ?

Le cœur du projet est de donner des moyens différents d’explorer et d’improviser. Il y aura donc de nombreuses occasions de jouer entre musicien·nes, mais aussi beaucoup de rencontres avec des artistes de renom basé·es à Chicago. Cela donnera l’occasion d’explorer ensemble plusieurs concepts, des parties plus « techniques », des modes particuliers, la théorie de « root progression » d’Alvin Batiste, ou l’électronique. 

J’animerai moi-même un travail autour d’un concept personnel : les trois existences rythmiques. La première est le pendule : le rythme créé par la marche, l’alternance, qui est universelle. La seconde est la locomotion : aujourd’hui, partout dans le monde, les trains créent un rythme régulier, et pour moi le blues, le hip hop ou bien sûr le jazz et son « chabada » reproduisent ce son. Et enfin, le troisième est l’algorithme : l’algorithme est un rythme, il dicte notre existence et nous fait explorer ce qu’on connaît.

D’une manière, cela nous rend tous et toutes uniques. Mais comment trouver des idées fraîches, nouvelles ? Ce triple concept invite à réfléchir à l’origine de la musique que l’on joue, et à ce qu’elle raconte de nous.

Peux-tu nous parler des autres intervenant·es ?

Il y aura des gens comme Tatsu Aoki ou Mai Sugimoto, que je connais bien et qui ouvriront vers d’autres cultures, ainsi que le quintet Heliacal Rising Of Sothis, mené par le contrebassiste Adam Zanolini et dont je fais partie. Adam est un élève de Phil Cohran [musicien emblématique de Chicago qui a joué avec Sun Ra et cofondé l’AACM] et prolonge son héritage dans ce groupe. Mon ami Art Turk Burton nous racontera l’histoire musicale de la ville. Et j’en ai contacté d’autres que j’apprécie tout autant, afin de créer un maximum de connexions entre les scènes créatives. Le tout se fera chaque fois dans des lieux eux-mêmes porteurs d’une histoire.

Je le vois vraiment comme une série d’ateliers, avec des temps pour échanger librement, puis expérimenter et, au final, proposer une restitution.

Il s’agit donc aussi de créer des connexions ?

Exactement, c’est aussi pour cela qu’il y aura des sessions en petits groupes. Et les temps de discussions permettront aussi des échanges enrichissants entre les participant·es, dont le concert final sera l’aboutissement. J’ai vraiment hâte de voir ça ! J’adore enseigner, car chaque fois que j’enseigne, j’apprends.

Musiques improvisées et dynamiques de création collective
Du 3 au 14 novembre 2025 à Chicago
Candidatures jusqu’au 13 juin 2025
Informations et candidatures

La formation « Musiques improvisées et dynamiques de création collective » est menée en partenariat avec The Bridge, réseau transatlantique pour le jazz et les musiques créatives, et Pannonica, scène de Jazz à Nantes.

Interview et rédaction : Antoine Gailhanou