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« Jamais au Paradis ! », le pas de côté
Le 17 janvier 2022 — par Trempo
Pour monter un spectacle autour du mythique Burt Bacharach, il ne fallait pas moins de quatre personnalités aux registres bien différents et cependant complémentaires : la comédienne et dramaturge Marion Le Nevet, le dessinateur Cyril Pedrosa, ainsi que les musicien·nes Sarah Maisonobe, connue sous le nom de “Sarah Maison”, et Romain Lallement, crooner qui se distingue habituellement sous le patronyme de “Lenparrot”. Retour sur la genèse de "Jamais au paradis !", projet protéiforme qui verra le jour le 21 janvier à la Soufflerie de Rezé, en coproduction avec VIA et Trempo.
Juste avant la pause de midi, on se glisse à pas feutrés dans l’obscurité du Théâtre municipal de Rezé — aïe, mince, qui a laissé traîner un sac à dos par terre, pardon, oui vraiment, pardon pour le bruit — où se déroulent les répétitions du spectacle Jamais au paradis !. Sur la scène vide, résonne la voix chaude et familière de Romain Lallement, interprétant non pas le répertoire de Lenparrot mais une chanson de Burt Bacharach. Le grand échalas d’un mètre-quatre-vingt-on-ne-sait-pas-combien-tellement-on-le-regarde-d’en-bas n’est cependant pas là. Immobilisé chez lui pour cause de Covid, le musicien nantais aux deux albums et autant d’EP a raté le début des répétitions. Armé d’un test négatif aux vertus de précieux sésame, il finit toutefois par rejoindre ses acolytes ce midi-là (au contraire de sa compagne Marion Le Nevet qui effectue le chemin inverse ; malgré une nuit passée chez maman, la comédienne a attrapé le virus elle aussi). On commande vegan, indien et pour six, puis on s’installe à l’étage pour revenir sur la naissance de cet intrigant spectacle.
« Des rapports amoureux qui posent question en 2021 »
C’est Cyril Pedrosa, dont les bandes dessinées sont notamment éditées chez Delcourt et Dupuis, qui prend la parole. Normal, c’est lui qui a eu l’idée en premier. « Il y a trois ans, j’ai participé à une résidence dessin à Saint-Gratien et, en discutant avec la responsable culturelle du lieu Carine Roma, je me suis rendu compte que la ville disposait d’infrastructures pour accueillir des créations, dont le Théâtre Jean-Marais (NDLR : on met un trait d’union entre « Jean » et « Marais » car l’acteur est décédé en 1998 ; on n’en aurait pas affecté à « caserne Pierre de Villiers », si tant est qu’on eût la nécessité d’évoquer une caserne dans cet article, le général des armées n’ayant pas encore passé l’arme à gauche). J’étais en train de réaliser le clip de Paladines pour Romain et je lui ai tout de suite proposé de monter un spectacle autour de Burt Bacharach. » Romain, qui venait justement de plonger dans le répertoire du compositeur américain l’été précédent, accepte tout de go : « Je m’étais dit qu’il y avait quelque chose à faire avec ces morceaux complètement fous. Même si ce qui était raconté dans ces chansons des années 1960 posait problème en 2021 : ce qui est dépeint sur les rapports amoureux relève de la domination patriarcale, de la dépendance et d’une absence totale de dialogue. »
« Un haut-parleur sur une tranche d’âge qu’on n’entend trop peu »
Intervient alors la bonne idée, dont se charge la dramaturge Marion Le Nevet : réaliser une série d’entretiens avec des représentants de la jeunesse actuelle sur ce que signifie pour eux « le sentiment amoureux » et se servir de ces témoignages pour bâtir l’architecture du spectacle. Durant un trimestre, Marion interroge ainsi une dizaine de personnes, en piochant dans le réseau proche. « Ce panel, explique Romain, a brassé une palette de jeunes sur une décennie, issue de castes sociales différentes, avec parfois des points de vue diamétralement opposés. Cela nous a permis de mettre un haut-parleur sur une tranche d’âge qu’on n’entend trop peu dans l’espace public. Et ce qu’ils ont livré était très intime, très fort. » Le résultat de ces entretiens a ensuite servi à la construction de Jamais au paradis !. Présente sur scène durant l’intégralité du spectacle, Marion Le Nevet dialogue avec ces voix enregistrées ou en joue des extraits entre deux morceaux de Bacharach. Les chansons sont, elles, interprétées pour moitié par Romain et Sarah Maison, invitée à rallier l’équipe. « C’est un répertoire qui m’accompagne moi aussi depuis des années, mais pas forcément avec les mêmes interprètes que Romain, je ne suis pas aussi geek que lui, s’amuse Sarah. En tant que musicienne, j’aime beaucoup parler d’amour, c’est un thème qui m’est cher. Mais ce qui m’intéressait surtout dans cette proposition, c’était le challenge vocal et technique. Quand on creuse un peu, Burt Bacharach, c’est un répertoire hyper exigeant. À force de travail, ces chansons ont fini par rentrer dans mon corps. »
« Des spectres qui apparaissent comme une vision »
En toile de fond, derrière les trois protagonistes, des vidéos réalisées par Cyril Pedrosa animent l’espace. « Au départ, je pensais dessiner en live. Mais, très vite, il m’a semblé plus pertinent de partir sur des archives vidéos et des images très produites, avec une esthétique très affirmée. Je voulais être davantage à l’écoute de ce qui se jouait sur le plateau. Pour moi, ce spectacle, c’est un pas de côté. » Et Sarah de compléter le propos du dessinateur : « Par les jeux de lumière, nos corps servent aux projections de Cyril. Il y a un rapport animé-désanimé qui se crée au profit d’un message et de la présence de Marion, sorte de Madame Loyal qui fait le lien avec les audios des jeunes. Marion est le personnage principal du spectacle et nous, Romain et moi, incarnons une rêverie, des spectres qui apparaissent comme sa vision. »
« Pas du Broadway »
Et Burt Bacharach, le compositeur le plus repris au monde après le duo Lennon-McCartney, dans tout ça ? Romain a travaillé durant neuf mois pour produire les douze titres du spectacle. « J’ai gardé mon instrumentarium habituel pour cela et, sur scène, je suis au piano. En apparence, ses morceaux sont simples et hyper fluides, mais c’est vraiment de l’orfèvrerie : c’est hyper compliqué. Quand on commence à déceler les rouages, c’est grisant de retrouver ses signatures harmoniques. On voit les ficelles et on se rend compte qu’il y a une réelle manière de bâtir “des chansons à la Bacharach”. J’ai mis en pause mon écriture propre entre mai et décembre 2021 et, aujourd’hui, j’ai hâte de voir comment cela va instiller à l’avenir dans mon travail personnel. » Le résultat de Jamais au paradis ! sera à découvrir le 21 janvier prochain au Théâtre municipal de Rezé. Un titre de spectacle emprunté à la chanson de Bacharach You’ll never get to heaven. « En substance, ce morceau dit : “Attention, mon petit bonhomme, je sais que tu flirtes avec ta secrétaire, mais tu ne l’emporteras pas au paradis”. Ne serait-ce que pour les paroles, on voulait la retenir. », confie Romain, avant de conclure : « Avec ce show, on ne fait pas du Broadway. C’est en toute humilité». Pas besoin de le dire. On n’en doutait pas.
Jamais au Paradis !
Lenparrot, Sarah Maison, Marion Le Nevet & Cyril Pedrosa
Vendredi 21 janvier
Le Théâtre, Rezé
Infos et billetterie
Co-produit par la Soufflerie, VIA et Trempo.