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Reportage

Musiciens Musiciennes du futur : un marathon créatif sonde l’avenir de la filière

Le 15 février 2024 — par Trempo

« Nourrir la réflexion autour de l’avenir des parcours professionnels des musicien·nes » ; voilà la mission confiée aux participant·es du marathon créatif organisé à Trempo les 22, 23 et 24 novembre derniers. À l’appui de celui-ci, pas de boule de cristal mais une démarche prospective originale, le design fiction. Une publication permet aujourd'hui d'accéder au travail effectué.

Fin novembre, le rez-de-chaussée de Trempo bruissait d’une activité inédite : le marathon créatif « Musiciens Musiciennes du futur » invitait ses participant·e·s à se projeter dans l’avenir de la filière, afin de « dessiner un futur alliant carrières sécurisées pour les artistes et expérience artistique riche et innovante pour le public». Une initiative du Ministère de la Culture, pour laquelle Trempo et Le Pont Supérieur s’associaient à l’agence nantaise Le Coup d’Après, experte dans les exercices prospectifs. Elle avait pour mission d’animer les réflexions des 22 professionnel·le·s du domaine (artistes, producteur·ices, manageur·ses, …) réuni·es pour l’occasion.

Design fiction et fossile du futur

Au coeur du marathon, le design fiction, « une pratique d’anticipation issue du (…) design, ouverte et évolutive, qui cherche à explorer et spéculer sur les différents futurs possibles et leurs implications ». L’exercice, voisin du hackathon par sa dimension collective et limitée dans le temps, a ceci de particulier qu’il relève de la prospective, une démarche qui, partant de l’existant, cherche à appréhender le futur en esquissant des scénarios. Dans ce sens, un document préparatoire identifiant les mutations en cours du secteur musical était fourni par le Coup d’Après aux prospectivistes en herbe afin de stimuler et d’aiguiller les discussions.

De là, charge à ces dernier·es de s’en inspirer pour inventer un « scénario du futur », articulé à un concept et à un artefact. Tandis que le concept permet « d’illustrer des interactions, des usages, des problématiques ou tensions qui pourraient apparaître dans le scénario créé », l’artefact, sorte de fossile du futur, vient matérialiser la réflexion. Il « représente et rend concret les concepts imaginés, par exemple au travers d’un objet du quotidien ou d’un élément de communication. » 

Une manière pour le Ministère de la Culture, qui impulsait là son sixième marathon créatif, « d’interroger les politiques publiques culturelles de manière sensible et créative », et pour Trempo, de poursuivre le travail d’étude et d’expérimentation mené par son nouveau pôle Musiques et Transitions.

Trois jours à Trempo

Voilà pour la théorie. À Trempo, les participant·es étaient réparti·es en quatre équipes et le travail préliminaire de défrichage réalisé par le Coup d’Après identifiait quatre pistes de réflexion : le développement du numérique dans la musique, les enjeux écologiques de la filière, les parcours de vie des musicien·nes et la construction du profil professionnel de l’artiste. Pour chacune de ces pistes, des données, un entretien et des articles étaient compilés dans le document préparatoire. Les participant·es pouvaient ainsi s’appuyer sur les apports de Ninon Devis, doctorante à l’IRCAM en intelligence artificielle (IA) appliquée à la musique, ou d’Amandine Thiriet, fondatrice des Mattermittentes, une association fondée sur « le constat de graves difficultés pour les femmes intermittentes à faire valoir leurs droits au congé maternité et à être indemnisées durant cette période. » Ajoutés à ce matériau, l’intelligence collective,  l’imagination de chacun·e et la méthodologie développée par le Coup d’Après constituaient les ingrédients de ce premier marathon créatif nantais et la base des quatre scénarios imaginés.

Un avenir qui se dérobe ?

En substance, les scénarios issus des trois jours de marathon offrent « des visions relativement pessimistes sur les années à venir, où de grands bouleversements sociétaux, technologiques et écologiques surviennent et polarisent fortement la société. » L’artiste musicien·ne, souvent soumis à une réglementation de plus en plus contraignante, y joue tour à tour un rôle de superstar, de collaborateur·ice d’une IA ou de membre d’une communauté écologique.

Là où l’équipe 2 imagine par exemple une « explosion de la société » conjuguée à un rationnement énergétique et à la généralisation d’une IA d’Etat accompagnant la création, l’équipe 3 pose comme hypothèses « l’arrêt du régime de l’intermittence » et « des rationnements drastiques de l’électricité ». 

L’équipe 1, elle, envisage une société divisée entre les « commun·es » d’une part, pour qui la musique est une pratique créatrice de lien social ancrée dans une communauté, et les « premiums », des « machines à fric » musicales d’autre part. Elle partage avec l’équipe 4 le concept d’une notation des artistes leur offrant ou non accès à différents avantages, comme les avancées technologiques ou des lieux de diffusion.

Pour l’équipe 3, l’exploration de « la déprofessionnalisation de l’artiste et son extraction du modèle subventionniste » au travers du concept des « Moaïs » – territoire réduit où dominent des relations d’entraide et de connaissance – conduit à imaginer comme artefact un bâtiment communautaire, lieu d’accueil pour « une variété de pratiques artistiques (…) doté d’outils de production d’énergie renouvelable. » 

Outre le fond dystopique, c’est là l’un des traits communs aux quatre scénarios : tous imaginent de nouveaux rôles et de nouvelles pratiques artistiques, souvent contraints, mais porteurs de sens pour les musicien·nes.

Et à l’arrivée ? 

C’est ce que le tableau d’ensemble suggère : si le pessimisme domine dans les scénarios, pas de nihilisme no future pour autant. Sur les ruines de la société actuelle ou en marge d’une industrie musicale élitiste, « la musique est explorée comme l’un des piliers du vivre-ensemble », à la fois levier de résistance et de contournement de l’establishment. 

Pour consulter les dossiers, cliquez sur l’image :

Rédaction de l’article : Simon Grudet · Photos : Chama Chéreau

Depuis 2020, le ministère de la Culture a mis en place un dispositif de « marathons créatifs », avec l’objectif de réfléchir autrement autour des enjeux du secteur culturel.

« Musiciens Musiciennes du Futur » a été porté par le pôle Musiques et Transitions de Trempo, Le Pont Supérieur et mis en oeuvre avec l’agence Le Coup d’Après.